Inspection économique: « Toutankhamon », qui dénonçait les escroqueries dans le marché de l’art, licencié

par | 2 Déc 2025 | Actualité de Bruxelles

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Un inspecteur masqué licencié pour avoir dénoncé les fraudes dans le marché de l’art

Bernard Staessens, agent de l’Inspection économique et officier de police judiciaire, a été démis de ses fonctions après la publication d’un livre dénonçant le blanchiment d’argent et les escroqueries organisées par des mafias dans le secteur des antiquités en Belgique. Pour préserver son anonymat, il est apparu masqué en Toutankhamon lors de ses interviews, mais ni pseudonyme ni déguisement n’auront suffi à le protéger des répercussions disciplinaires.

Quand un fonctionnaire devient lanceur d’alerte masqué

En septembre 2024, sur les antennes de La Première, « Bernard Staessens » a révélé qu’« au marché de l’art, vous achetez dans l’anonymat le plus complet », avant de préciser qu’« une tête de pharaon se négocie autour d’un million d’euros en Belgique ». Dans son ouvrage Les secrets du marché de l’art en Belgique : enquêtes sur les escroqueries, les fraudes et les pillages (Éditions Racine), il accuse de véritables organisations criminelles de recycler l’argent sale via l’achat d’œuvres d’art. Malgré l’usage d’un pseudonyme et l’usage d’un masque de Toutankhamon, son identité a rapidement été dévoilée. Le SPF Économie lui reproche notamment un « manque de confidentialité », un « défaut de neutralité et de loyauté » et une « communication non autorisée avec la presse ».

Un secteur de l’art sous influence mafieuse ?

La Chambre royale belge des Antiquaires, basée au Sablon à Bruxelles, a vivement réagi, qualifiant le livre d’« écrit à charge ». Patrick Mestdagh, l’un de ses porte-parole, a dénoncé un « scandale », pointant la diffusion d’informations et de photos issues de dossiers officiels « à peine dissimulés ». Concrètement, si le livre de Staessens met en lumière des saisies récentes d’objets précieux, il soulève surtout la question du rôle du marché de l’art dans le blanchiment d’argent. En pratique, les pièces archéologiques se prêtent parfaitement à des transactions à hauteur de plusieurs millions d’euros, échappant à tout contrôle rigoureux, faute de traçabilité et de ressources suffisantes pour les enquêtes.

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Une administration partagée entre devoir de réserve et besoin d’alerter

La sanction disciplinaire tombe : démission d’office. Pour le SPF Économie, l’agent a exercé des activités accessoires pendant ses heures de travail et compromis la dignité de la fonction en se rendant identifiable comme auteur du livre et en mentionnant le service. Cependant, le Conseil d’État, saisi en suspension et en annulation, a suspendu ce licenciement fin octobre 2025. Deux des quatre griefs retenus contre Staessens n’étaient pas suffisamment motivés, et l’autorité administrative n’a pas démontré qu’il avait dissimulé totalement son projet à sa hiérarchie. Cette décision met en lumière la tension entre la loyauté due par un fonctionnaire et son rôle potentiel de lanceur d’alerte.

Le recours devant le Conseil d’État et les enjeux juridiques

En Belgique, la transposition de la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte (2019/1937) accuse du retard, surtout pour les agents publics. Les magistrats ont rappelé que la liberté d’expression publique, quand elle sert l’intérêt général, peut primer sur l’obligation de réserve. Concrètement, la cour administrative a jugé que l’Inspection économique n’avait pas justifié pourquoi la publication de révélations tombait sous le coup d’une interdiction stricte. Me Cédric Molitor, avocat de Staessens, souligne que son client avait informé certains cadres de son projet. De l’autre côté, la Chambre des Antiquaires continue de contester le contenu, arguant que l’usage de dossiers internes contrevient aux règles déontologiques.

Vers une meilleure protection des lanceurs d’alerte et une régulation du marché de l’art

Au-delà du cas Staessens, cette affaire soulève plusieurs questions : comment protéger ceux qui dénoncent des fraudes systématiques sans mettre en péril le fonctionnement des services publics ? Quelle réforme du marché de l’art pour limiter l’anonymat et renforcer la traçabilité ? Les chiffres sont parlants : plus de 1 000 dossiers de blanchiment d’argent transmis en 2024, 1,4 million d’euros saisis lors d’une opération à Bruxelles, et un secteur des antiquités où les œuvres se négocient sans contrôle strict. À terme, l’État devra décider s’il privilégie une lutte renforcée contre le blanchiment via des textes plus stricts et des moyens accrus, ou s’il tolère un statu quo profitable à certains lobbys.

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Pour l’heure, Staessens reste suspendu, mais sa procédure devant le Conseil d’État pourrait aboutir à sa réintégration, ouvrant la voie à un débat public sur la place des lanceurs d’alerte dans l’administration et la nécessité d’une régulation plus transparente du marché de l’art en Belgique.

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