Polémique à la Grand-Place : quand une crèche moderne interpelle Bruxelles
Installée le 28 novembre sur la Grand-Place, une crèche au design contemporain suscite une vive controverse à Bruxelles. Conçue par l’artiste Victoria-Maria Geyer et défendue par le doyen de Bruxelles-Centre, Benoît Lobet, cette installation entend mettre en lumière la réalité des quelque 9 000 personnes sans abri dans la capitale. Traditions religieuses, enjeux sociaux et débat sur l’art public se croisent à l’occasion de cette initiative.
Une création engagée pour rappeler la précarité
Concrètement, la crèche de la Grand-Place présente des silhouettes épurées posées sur un drap blanc, sans traits de visage clairement dessinés. L’artiste Victoria-Maria Geyer a voulu incarner la détresse et l’anonymat des personnes à la rue. Selon l’abbé Benoît Lobet, doyen de la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule, l’installation « rappelle à Noël le fait qu’environ 9 000 personnes dorment dans la rue, dont des enfants ». Il souligne que ce choix s’inscrit pleinement dans les valeurs chrétiennes : apporter aide et solidarité aux plus vulnérables.
Tout en restant une œuvre religieuse, la démarche se rapproche d’une forme d’art engagé. En pratique, l’absence de visages incite chaque visiteur à se projeter et à inviter l’humanité à entrer dans la crèche. L’artiste espère ainsi créer une expérience participative, où chacun devient acteur de la scène de la Nativité.
Une tradition revisitée face aux critiques
Pour beaucoup, la crèche de Noël évoque les personnages en terre cuite ou en bois, aux traits reconnaissables et souvent peints. Ici, la rupture est totale : pas de rois mages joyeux ni de bergers coiffés de façon pittoresque. La modernité inquiète certains esprits attachés à un patrimoine religieux et culturel immuable. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a notamment qualifié les figures de « zombies », estimant qu’elles n’étaient « pas adaptées à l’esprit festif ».
Cependant, d’autres voix plaident pour une évolution de la tradition. Sammy Mahdi, président du parti chrétien-démocrate flamand CD&V, rappelle que « la manière dont on traite nos traditions » mérite débat. Pour eux, revisiter une coutume ancienne peut enrichir le dialogue et donner un nouveau sens à Noël. À terme, cette remise en question pourrait ouvrir la voie à d’autres interprétations artistiques.
Réactions politiques et sécuritaires
Au-delà de la polémique esthétique, l’installation a entraîné un renforcement des mesures de sécurité. Des barrières ont été dressées autour de la scène et des patrouilles supplémentaires déployées, après le vol de la tête du petit Jésus. Cet acte de vandalisme a suscité l’indignation, y compris chez ceux qui critiquent l’œuvre : nombreuses sont les voix politiques à appeler au respect du symbolisme religieux, quel que soit son style.
Le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, a quant à lui lancé un appel au calme, dénonçant les excès verbaux tout en reconnaissant l’importance du message social. « La Grand-Place est un lieu de rassemblement pour tous les Bruxellois, » a-t-il déclaré, invitant chacun à conserver un esprit de tolérance et de réflexion.
Art public et espace sacré : où placer les limites ?
L’installation pose la question de la place de l’art contemporain dans un espace aussi symbolique qu’une place historique et sacrée. D’un côté, l’art public a pour rôle de provoquer, d’interpeller et de rendre visibles des réalités souvent ignorées. De l’autre, l’espace de la Grand-Place, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, porte une forte charge patrimoniale et religieuse.
En pratique, toute création urbaine doit naviguer entre expression libre et acceptation collective. Certains craignent une dérive où chaque message social trouverait prétexte à s’inviter dans les traditions, au risque de diluer leur portée initiale. D’autres y voient une occasion unique de faire dialoguer mémoire et enjeux contemporains, entre foi, solidarité et esthétique.
Vers un nouveau regard sur la crèche de Noël ?
La controverse autour de la crèche de la Grand-Place pourrait être le point de départ d’une réflexion plus large sur la manière dont les sociétés modernes marient traditions religieuses et engagement citoyen. Concrètement, ce débat interroge la responsabilité des institutions (religieuses ou municipales) face aux crises sociales et la capacité de l’art à susciter un élan de solidarité.
À Bruxelles comme ailleurs, plusieurs initiatives artistiques associent déjà création contemporaine et actions sociales : fresques murales pour l’accès au logement, sculptures en soutien aux migrants, expositions sur la pauvreté… La question reste de savoir si ces démarches arrivent à toucher un public plus large et à transformer la polémique en prise de conscience durable.
En définitive, cette crèche atypique rappelle que Noël est d’abord une fête de partage. Si certains lui reprochent de trahir la forme, elle s’efforce néanmoins de préserver l’essence : penser à ceux qui vivent dans l’ombre et faire de chaque visiteur un témoin impliqué.


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