Ni la Belgique, ni Bruxelles n’anticipent suffisamment les changements climatiques
La première évaluation nationale des risques climatiques, publiée début novembre par le Centre d’analyse des risques du changement climatique (CERAC), dresse un constat alarmant : en dépit des alertes, ni le gouvernement fédéral, ni la Région bruxelloise n’ont mis en place de stratégie d’adaptation à la hauteur des menaces à venir. Face aux inondations, aux vagues de chaleur et à l’assèchement des sols, ce sont pourtant les communes qui seront sur le front, sans moyens financiers suffisants.
Une évaluation nationale inédite mais déjà jugée insuffisante
Pour la première fois en Belgique, le CERAC a livré une cartographie détaillée des risques climatiques : inondations, canicules, sécheresses et impacts économiques. Commandée par le Conseil national de sécurité, cette étude vise à poser les bases d’une stratégie nationale de lutte contre les aléas extrêmes. Concrètement, le rapport souligne que les communes devront supporter les coûts directs et indirects, notamment pour la protection civile, les services de pompiers et les infrastructures locales.
Cependant, Brulocalis – l’association des villes et communes bruxelloises – estime que ce premier exercice reste largement théorique. « Ni la Belgique, ni Bruxelles n’anticipent suffisamment les changements climatiques », tranche Jean-Michel Reniers, responsable du service Ville durable. L’évaluation du CERAC met en lumière des écarts de température de 3 à 10 °C dans certains quartiers densément urbanisés, sans proposer de plan d’action contraignant pour les autorités locales.
Les îlots de chaleur et les populations vulnérables en première ligne
À Bruxelles, les vagues de chaleur représentent le risque le plus immédiat. Les îlots de chaleur urbains – sommets thermiques creusés par l’imperméabilisation des sols et le déficit de végétation – touchent particulièrement l’hypercentre, où les logements sont plus petits et moins bien rénovés. Résultat : les personnes âgées, les malades chroniques et les habitants les moins favorisés voient leur santé directement menacée. Troubles du sommeil, insomnies, insolations et baisse de productivité à l’école ou au travail font déjà partie du quotidien.
Laissant penser que seules des mesures structurelles pourront atténuer ces effets, Brulocalis appelle à une « verdurisation stratégique » de ces quartiers. Or, sans soutien financier conséquent de la Région et du fédéral, le risque est de creuser encore davantage les inégalités sociales et géographiques.
Initiatives communales : des projets embryonnaires face à l’urgence
Conscientes du danger, certaines communes ont commencé à expérimenter des solutions locales. À Molenbeek-Saint-Jean, la porte de Ninove se pare de végétation pour rafraîchir l’air. À Saint-Gilles, la place Marie Janson bénéficie d’un réseau de fontaines et de massifs plantés. Mais ces projets restent trop limités pour inverser la tendance. En pratique, ils témoignent surtout d’une forte volonté politique locale, non accompagnée par des enveloppes budgétaires adaptées.
Plusieurs bourgmestres pointent un manque de moyens récurrent. Les tensions sur les budgets fédéraux, régionaux et communaux sont telles que les élus devront arbitrer entre services essentiels (propreté, police, éducation) et investissements climatiques. Or, dans le rapport du CERAC, le secteur des assurances figure parmi les acteurs les plus inquiets : les compagnies redoutent désormais les coûts liés aux inondations accrues par l’imperméabilisation urbaine et pourraient durcir leurs conditions de couverture.
Budget contraint et gouvernance éclatée
À Bruxelles, la stratégie dite de « rénolution » promet la rénovation de l’intégralité des logements d’ici 2050. Ce plan a déjà accéléré le rythme des travaux, mais il reste loin des objectifs imposés par les directives européennes sur l’efficacité énergétique. Au rythme actuel, il faudrait plusieurs décennies supplémentaires pour atteindre la neutralité carbone du parc immobilier.
Cet écart entre ambition et réalité s’explique en partie par l’absence de gouvernement régional stable depuis plusieurs mois. Les modalités de financement des primes à la rénovation sont donc gelées, laissant les ménages et les entrepreneurs dans l’incertitude. En parallèle, la coordination entre le fédéral, la Région et les communes reste insuffisante pour mobiliser l’ensemble des fonds européens disponibles, aggravant la faiblesse des dispositifs d’aide.
Perspectives et pistes pour accélérer la transition
Pour Brulocalis et les associations de terrain, des pistes émergent : instaurer un fonds climatique bruxellois alimenté par une contribution dédiée des entreprises, renforcer les partenariats avec le secteur privé pour développer des réseaux de chaleur et de froid (expérimentation au parc Maximilien), ou encore intégrer systématiquement la végétalisation dans les permis d’urbanisme. À terme, ces actions pourraient limiter l’impact des vagues de chaleur et des inondations urbaines.
Mais la réussite de ces initiatives dépendra de trois facteurs clés : l’engagement politique au plus haut niveau pour débloquer des financements, la capacité à associer les citoyens (jardins partagés, plantations collaboratives) et la mise en place d’une gouvernance multi-niveaux plus cohérente. Sans cela, Bruxelles risquerait de cumuler retards et coûts exponentiels, alors que chaque degré supplémentaire de réchauffement se paie déjà en vies humaines et en dépenses publiques.


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